Publié le 18 septembre 2017
À l'évocation du nom de Bernard Palissy, si toutefois ce nom vous évoque quelque chose, vous pensez sans doute à l'une de ses « rustiques figulines », ces long plats à décor rustique, chargés d'algues, de reptiles, poissons, batraciens, etc. Ce genre de vaisselle se trouve dans beaucoup de musées français et anglo-saxons ainsi que quelques collections privées.
Peu d'artistes anciens font autant d'effet que Bernard Palissy sur les visiteurs de musée. On adore ou on déteste. J'ai d'abord fait partie du deuxième groupe, car j'ai la phobie des reptiles. Et voilà que, chargée pendant près de trois ans d'étudier les pièces du fonds archéologique découvert sur le site du jardin des Tuileries, je me suis prise de passion pour une paire de pieds, entre autres.
Au XIXe siècle, Bernard Palissy était acclamé comme un Léonard de Vinci français. C'était un expérimentateur acharné, totalement dévoué à son art, et qui s'était vanté d'avoir sacrifié jusqu'à son plancher pour achever la cuisson de ses céramiques. De fait, c'était aussi l'un des rares artistes français de la Renaissance à avoir pris la plume et publié des ouvrages sur leur pratique du métier.
La success story de ce modeste potier provincial à la cour des rois de France faisait figure de modèle pour les écoliers de la IIIe République. Il a d'ailleurs repris une place importante dans les récents manuels d'histoire des arts destinés aux élèves de collège et lycée.
Au-delà du personnage romantique, ce qui subsiste aujourd'hui, c'est son immense savoir-faire technique absolument inégalé.
L'étude du personnage a totalement rebondi lorsqu'a été découvert son atelier des Tuileries, à l'occasion de la construction du Grand Louvre (dans les années 1984-90). Près de 15 000 fragments authentiques : de quoi alimenter bien des recherches. Dans un ouvrage remarquable, Léonard Amico a fait le point sur la biographie et tenté de la débarrasser de ses légendes. L'auteur s'est livré, avec Dominique Poulain, à l'inventaire d'une grande partie des pièces archéologiques. On a ainsi beaucoup progressé dans la connaissance des techniques céramiques de Palissy.
Mais c'est là qu'intervient la paire de pieds : je crois qu'à trop vouloir en faire un potier, on a négligé d'y voir un sculpteur. C'est une question de stature. Palissy savait dessiner, cela crève les yeux !
Pour apprécier Palissy, il faut certes franchir quelques obstacles : le dégoût initial pour un style perçu aujourd'hui comme kitsch, puis la lecture de ses écrits, qui semblent à première vue un ramassis de fadaises alliant la vantardise à la mauvaise foi. Redresseur de torts s'il en est, le bonhomme ne paraît pas plus sympathique que ses bestioles.
Il faut tenir compte de ce que l'essentiel de ses réalisations a disparu et que ses connaissances expérimentales représentaient le plus haut niveau de l'époque en matière de chimie et de géologie. Et pourtant, plus j'ai passé de temps en sa compagnie, plus j'ai trouvé passionnants ses recherches, ses doutes, les vestiges de son art.
Au fur et à mesure de mes recherches, je me suis posé trois questions :
Comme je le disais en ouverture, je crois qu'on s'est trompé en décrivant Palissy comme un potier. D'une part, cela ne correspond pas à sa formation, d'autre part ce n'est pas non plus là que s'arrête son ambition : mes détracteurs me traiteront de simple artisan, écrit-il dans la préface des Discours admirables (1580). C'est en effet sur le tard, dans son second ouvrage, qu'il revient sur son parcours.
La scène se passe p. 271 de l'édition originale : Théoricque dit qu'en commençant, Praticque (dans lequel il faut reconnaître Palissy bien sûr) n'avait pas beaucoup de moyens. Praticque répond : j'avais la portraiture. Autrement dit, je savais dessiner.
« L'on pensait en notre pays que je fusse plus savant en l'art de peinture que je n'étais, qui causait que j'étais souvent appelé pour faire des figures pour les procès. Or quand j'estais en telles commissions, j'estais très bien payé, ainsi ai-je entretenu longtemps la vitrerie, jusqu'à ce que j'aie été assuré pouvoir vivre de l'art de terre. Aussi en cherchant ledit art, j'ai appris l'alchimie avec les dents, ce qu'il te fâcherait beaucoup de faire. Voilà comment j'ai échappé le temps que j'ai employé à chercher ledit art. » (orthographe modernisée). Ces pages sur les débuts de Palissy comme céramiste sont truffées d'allusions au dessin :
C'est quelques pages plus loin qu'il décrit le déclic. On lui a montré, plus de 25 ans auparavant (donc peu avant 1555 ?), une coupe émaillée blanche, à l'époque où il « peignait les images » (c'est-à-dire les sculptures). Pour imiter cette coupe, il achète des tessons de terre cuite et les recouvre de mélanges broyés ; il tient sans doute un cahier car « les ayant marquées, je mettais en écrit à part les drogues que j'avais mis sur chacune d'icelle ». Si seulement l'on pouvait retrouver ce carnet !
« Car ayant fait un certain nombre de bassins rustiques et les ayant fait cuire, mes émaux se trouvaient les uns beaux et bien fondus, d'autres étaient brûlés, à cause qu'ils étaient composés de diverses matières qui étaient fusibles à divers degrés, le vert des lézards était brûlé premier que la couleur des serpents fût fondue ; aussi la couleur des serpents, écrevisses, tortues et cancres était fondue auparavant que le blanc eût reçu aucune beauté. » (Discours admirables, p. 287).
Au terme d'efforts considérables, il parvient à une prouesse technique : rendre ses émaux fusibles à un même degré de feu. Contrairement à l'émail peint sur cuivre, la terre cuite glaçurée ne peut recevoir qu'une seule cuisson, deux à la rigueur si l'on ajoute un lustre métallique à plus basse température. Cela suppose qu'il a mis au point de savants dosages de catalyseurs ou de retardateurs de fusion : ce sur quoi il reste délibérément muet dans ses ouvrages.
Il ne faut pas croire que la qualité des terres employées ne soit pas importante. Toute une partie de son traité y est consacré, où il n'hésite pas à se montrer critique vis-à-vis de ses confrères sculpteurs : selon lui, les « tailleurs d'images ne sont instruits en l'art de terre par ouï-dire seulement » (Discours admirables p. 260). Je ne peux m'empêcher de me demander s'il connaissait les termes du château d'Oiron, sachant qu'on a des preuves qu'il a travaillé pour Claude Gouffier, lequel était apparenté à son protecteur Anne de Montmorency.
Il évoque quelques terres argileuses en particulier : en région parisienne, la plus fine est à Gentilly, tandis que celle de Chaillot, sert à faire de la tuile (Discours admirables, p. 261). Il a travaillé six mois la terre de Poitou et produit des plats fort élaborés et d'assez haut prix, mais l'émaillage a fondu et il a eu beaucoup de pertes (p. 263). Quelques tentatives également avec la terre de Saintonge, sur laquelle il avait déjà travaillé. Face aux pièces trouvées en fouilles on a d'abord cru que Palissy avaient été l'un des producteurs de céramique de Saint-Porchaire. Appelée « faïence Henri II » au XIXe siècle, cette céramique très reconnaissable demeure anonyme, tandis que son processus de fabrication a été mis en lumière à la fin des années 1990 : la pâte blanche, essentiellement composée de kaolin comme la porcelaine, reçoit un décor estampé au petit fer puis rapportée sur la pièce. On ajoute ensuite une glaçure transparente (à base de plomb). Palissy s'est en fait intéressé à cette céramique mais n'a jamais réussi à produire des pièces entières.
Concernant la palette de ses émaux, Bernard Palissy écrit qu'il emploie principalement onze matières :
Le bassin en forme de nacelle du musée des Beaux-Arts de Lyon (vers 1550-60 ?) est le seul plat rustique pour lequel on conserve le moule (Écouen, musée national de la Renaissance).
Devenu « inventeur des rustiques figulines du roi » grâce à son livre et à l'entremise d'Anne de Montmorency, Bernard Palissy accède au monde des artistes de cour et va pouvoir réaliser une partie de ses rêves... ce sera l'objet d'un deuxième article. À suivre !
Pour citer ce billet Stéphanie Deprouw-Augustin, « Bernard Palissy, sculpteur céramiste », Blog Apprendre à voir, 18 septembre 2017, https://deprouw.fr/blog/bernard-palissy-sculpteur-ceramiste/.
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