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Van Orley à Besançon : le livre de Jérémie

Publié le 20 janvier 2019

Besançon van Orley Jérémie

Bernard van Orley, Triptyque de la Vierge des sept douleurs, détail du volet gauche figurant le prophète Jérémie, vers 1532-1540, huile sur panneau de chêne, Besançon, musée des beaux-arts et d'archéologie

Avis à tous les amateurs de paléographie !

A l'occasion de la sortie du volume de Tremesis consacré au retable de la Vierge des sept douleurs de Bernard van Orley à Besançon, voici une photographie qui permet le déchiffrage du livre tenu par le prophète Jérémie.

Cette nature morte de livre est l'une des plus belles que j'ai jamais vues. Non seulement le vélin y est particulièrement bien rendu, mais la calligraphie, exécutée en grandeur naturelle, est entièrement lisible. Quel tour de force ! Il paraît d'autant plus étonnant que le peintre n'ait glissé aucune signature dans le polyptyque. Nous attendions beaucoup du nettoyage des surpeints dans le fond architecturé des volets, mais en vain !

Transcription du premier passage :

« Hieremias

Spiritus Domini super /
me eo q[uod] unxerit [Dominus] /
me ad annu[n]ciandum /
ma[n]suetis misit me ut /
mederer contritis /
corde et praedic[arem /
captivis /
indu[lgentiam et clausis apertione] ».

Traduction :

Isaïe, 61, 1, traduction Louis Segond, 1910.
L'esprit du Seigneur est sur moi, car il m'a oint pour porter de bonnes nouvelles aux malheureux ; Il m'a envoyé pour guérir ceux qui ont le cœur brisé, pour proclamer [aux captifs la liberté, et aux prisonniers la délivrance].

Transcription du deuxième passage :

« [Hiere]mias
(…) [nec sanguem innocentem] effunderitis in /
loco hoc et post /
deos alienos /
no[n] ambula- /
veritis in /
malum /
vobis- /
met ip-/ sis ».

Traduction :

Jérémie 7, 6.
(…) Si vous ne répandez pas en ce lieu [le sang innocent], Et si vous n'allez pas après d'autres dieux, pour votre malheur, (…).

Transcription du troisième passage :

« sagittam et sc-/
scutu[m] arripiet crudelis /
est et non miserebitur. /
Vox ejus quasi mare sona-/
bit et super equos ascendent prae-/
parati quasi vir ad preliu[m] adversum /
te, filia Sion. Audivimus fama /
ejus ; dissolute man[us] n[ost]re /
tribulatio apprehen /
dit nos, do- / [lores] /
ut parturien-
tem. Nolite exire ad agros (…) »

Traduction :

Jérémie, 6, 23-25
Ils porteront le javelot et l’écu ; Ils seront cruels, sans miséricorde ; Leur voix mugira comme la mer ; Ils seront montés sur des chevaux, prêts à combattre comme un seul homme, contre toi, fille de Sion !
Au bruit de leur approche, Nos mains s'affaiblissent, L'angoisse nous saisit, Comme la douleur d'une femme qui accouche.
Ne sortez pas dans les champs (…)

Transcription du quatrième passage :

« [Hierem]ias folio CCXIII
Verbu[m] quod factum est ad Hie/
remia[m] a Domino dicens : /
Sta in porta dom[us] d[omi]ni et predi-/
ca ibi verbu[m] istud et dic : /
Audite verbu[m] d[omi]ni omnis Juda q[u]i /
ingredimini [per] portas has ut ado-/
retis d[omi]num. Hec vidit d[omi]n[u]s /exercituu[m] Deus Israel, Bonas /
facite vias vestras et studia vestra /
et habitabo vobiscum in loco isto. /
Nolite co[n]fidere in verbis me[n]dacii /dice[n]tes te[m]plu[m] d[omi]ni, te[m]plu[m] d[omi]ni, te[m]-/
plu[m] d[omi]ni. Est q[u]on[iam] si bene direxeri-/
tis vias vestras et studia /
vestra si feceritis judicium /
inter virum et proximum ej[us] /
advenae et pupillo /
et viduae, no[n] /
fece-/
ritis calu[m]nia[m] nec sanguine[m] innoce[n]tem / [effuderitis in loco hoc et post deos alienos non ambulaveritis in malum vobismet ipsis, habitabo vobiscum in loco isto in terra quam dedi patribus vestris a saeculo usque ad saeculum] ».

Traduction :

Livre de Jérémie, fol. 213 = Jérémie 7, 1-7 (traduction Louis Segond)
La parole qui fut adressée à Jérémie de la part de l’Éternel, en ces mots :
Place-toi à la porte de la maison de l’Éternel,
 Et là publie cette parole,
Et dis : Écoutez la parole de l’Éternel,
 Vous tous, hommes de Juda, qui entrez par ces portes,
 Pour vous prosterner devant l’Éternel !
Ainsi parle l’Éternel des armées, le Dieu d’Israël :
 Réformez vos voies et vos œuvres,
 Et je vous laisserai demeurer dans ce lieu.
Ne vous livrez pas à des espérances trompeuses, en disant : 
C’est ici le temple de l’Éternel, le temple de l’Éternel, Le temple de l’Éternel !
Si vous réformez vos voies et vos œuvres,
 Si vous pratiquez la justice envers les uns et les autres,
Si vous n’opprimez pas l’étranger, l’orphelin et la veuve, 
Si vous ne répandez pas en ce lieu le sang innocent,
 [Et si vous n’allez pas après d’autres dieux, pour votre malheur,
Alors je vous laisserai demeurer dans ce lieu,
 Dans le pays que j’ai donné à vos pères,
 D’éternité en éternité].

Le passage entre crochets qui manque ici correspond au deuxième passage.

Si l'interprétation à donner à ces versets vous intéresse, si vous aimez la peinture ou vous intéressez à la restauration, je vous invite à lire le volume publié par le musée de Besançon à l'occasion de sa réouverture !

Encore mille mercis à Nicolas Surlapierre et Yohan Rimaud pour leur confiance, à mon co-auteur Mme Dagmar Eichberger, avec qui il a été si agréable d'échanger au sujet de l'iconographie du retable et de partager cette recherche, ainsi qu'aux restaurateurs qui ont travaillé sur les panneaux :

Pour citer ce billet Stéphanie Deprouw-Augustin, « Van Orley à Besançon : le livre de Jérémie », Blog Apprendre à voir, 20 janvier 2019, https://deprouw.fr/blog/bernard-van-orley-besancon-le-livre-de-jeremie/.

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