Apprendre à voir

Léonard Limosin : l'apogée de l'émail peint (1)

Publié le 6 novembre 2013

Un mariage d'amis dans le Tarn cet été m'a enfin permis, lors d'une pause bienvenue, de visiter le musée des Beaux-Arts de Limoges récemment rénové. Sobre et efficace, la nouvelle muséographie met très bien en valeur les collections. C'est l'occasion de revenir sur un artiste que j'ai eu la chance d'étudier dans le détail en préparant une exposition dont j'ai été co-commissaire en 2010. Depuis la parution de l'excellent Léonard Limosin au musée de Louvre, de Sophie Baratte (1993), plusieurs œuvres ont refait surface et été montrées au public. La carrière de Léonard Limosin, connue par le biais des archives, est aussi jalonnée d'œuvres signées et datées : elle est abondamment documentée de 1533 à 1574. Son parcours au service des rois de France, de François Ier à Charles IX, marque l'apogée d'une technique forgée à la Renaissance et typiquement française : l'émail peint sur cuivre.

Dans ce premier épisode (un deuxième suivra), j'entends retracer la carrière de Léonard Limosin, en rassemblant documents d'archives et œuvres datées.

Émailleur du roi sous les derniers Valois

Leonard Limosin Hieronymus Welser

Léonard Limosin, Portrait de Hieronymus Welser à l'âge de 24 ans, 1533,
émail peint sur cuivre, Oldenburg, Landesmuseum für Kunst und Kulturgeschichte.
Les Welser, identifiés par leurs armoiries à fleurs de lys,
étaient une puissante famille de banquiers allemands
(qui a notamment financé la conquête du Venezuela).
Hieronymus Welser quitte Augsbourg pour Venise de 1530 à 1536,
après avoir contracté des dettes de jeu. Où a-t-il pu rencontrer son portraitiste ?

On ne sait rien de sa formation (on apprend en 1541 que son père était aubergiste). Certains avancent qu'il pourrait avoir été l'élève de l'émailleur Nardon (Léonard) Pénicaud, orfèvre et émailleur mentionné de 1493 à 1541.

Leonard Limosin Psyché Zéphir

Léonard Limosin, Psyché enlevée par Zéphir, 1534, émail peint sur cuivre, Paris, musée du Louvre.
L'artiste s'inspire d'une gravure italienne d'après une composition de Raphaël et reprend même les vers italiens qui l'accompagnaient.

Leonard Limosin, Saint Antoine British Museum

Léonard Limosin, Histoire de Saint Antoine abbé : le miracle du corbeau, armoiries de l'évêque de Limoges Jean de Langeac, 1536, émail peint sur cuivre, 21 x 15,3 cm, Londres, British Museum.

Leonard Limosin trictrac

Léonard Limosin, Jeu de trictrac (au revers, échiquier), 1537,
émail peint sur cuivre inséré dans un cadre de bois, 47 x 47 cm, Paris, musée du Louvre.
Signé LL et daté 1537 dans des cartouches dorés.

Leonard Limosin Médaillon bustes British Museum

Léonard Limosin, Buste de jeune homme en armure ; au revers, Buste du roi François Ier, médaillon d'émail peint sur cuivre, diamètre 9,4 cm, Londres, British Museum.

Leonard Limosin Apôtre d'anet Jean

Léonard Limosin d'après Michel Rochetel, Saint Jean, de la série des Douze Apôtres d'Anet, 1545-47, émail peint sur cuivre, Chartres, musée des Beaux-Arts. Deux autres cartons attribués à Rochetel sont également conservés au musée du Louvre : ce sont sans doute Saint Pierre et Saint Matthieu.
Ils révèlent l'influence de Primatice, pour la technique du lavis et en particulier pour les drapés.

Leonard Limosin Incredulité Saint Thomas

Léonard Limosin, L'Incrédulité de Saint Thomas,
huile sur bois, 1551, 195 x 154 cm, Limoges, musée des Beaux-Arts.
Le personnage de droite, qui tient le livre avec la signature, est très vraisemblablement l'artiste.
Pour les visages des apôtres, il remploie les cartons de Michel Rochetel
(par exemple Pierre tout à gauche de la composition).

Leonard Limosin retable sainte chapelle

Léonard Limosin d'après Niccolò dell'Abbate, Retable de la Sainte Chapelle : la Résurrection ; anges porteurs des insignes de la Passion, 1552-53, émaux peints sur cuivre, cadre de bois doré, 107 x 75 cm, Paris, musée du Louvre. L'autre pièce du retable, de mêmes dimensions, représente la Crucifixion. Niccolò dell'Abbate a également donné le dessin du Christ au jardin des oliviers, voire des autres scènes en médaillons.

Leonard Limosin Anne de Montmorency

Léonard Limosin, Anne de Montmorency, connétable de France,
1556, émail peint sur cuivre, Paris, musée du Louvre.
Le cadre est d'origine.

Léonard Limosin Jugement Pâris

Léonard Limosin, Le Jugement de Pâris d'après la composition de Raphaël reprise par la gravure de Marcantonio Raimondi, 1562,
émail peint sur cuivre, diamètre 29,5 cm (il était autrefois plus grand),
Écouen, musée national de la Renaissance.

Limosin Mars et Junon Getty

Léonard Limosin, Mars (Charles IX) et Junon (Catherine de Médicis), 1573, émail peint sur cuivre, 16,8 x 22,9 cm chaque, Los Angeles, John Paul Getty Museum.

En tout, Léonard Limosin nous laisse un tableau, une trentaine d'émaux (ou d'ensembles d'émaux) et quelques gravures datés : il est rarissime de si bien connaître la carrière d'un artiste de la Renaissance française. Et c'est sans compter sur tous les autres émaux non datés, témoins d'un atelier fécond et d'un engouement du public qui ne se dément pas en quarante ans de carrière. Belle longévité !
Aisément transportable, assez peu onéreux, flatteur à l'œil grâce à ses reflets et ses rehauts d'or, mais aussi fabriqué en France (cela comptait déjà, pour se démarquer de la majolique italienne), l'émail peint avait des qualités pour se faire adopter, jusque dans les plus hautes sphères de l'aristocratie française de la Renaissance. Léonard Limosin n'est pas le seul artiste à avoir obtenu des commandes de la Cour, mais il est certainement celui qui a le mieux réussi à s'imposer, sur le plan esthétique et financier. Son style a manifestement plu à Catherine de Médicis, puisqu'il n'a pas cessé de produire des émaux en rapport avec la Cour après la mort d'Henri II. Le « cabinet des émaux » qu'elle avait installé dans son hôtel particulier du quartier des Halles à Paris après 1570 comprenait vraisemblablement, comme je l'ai montré en 2010, une série de trente-deux émaux issus de l'atelier Limosin, et peut-être davantage.
Au-delà, ce sont les modèles de la Haute-Renaissance (Dürer, Raphaël etc.), correspondant aux début de la carrière de Limosin, qui ne se sont pas démodés et servent encore à produire des émaux jusque tard dans le siècle.

Pour citer cet article :
Stéphanie Deprouw-Augustin, « Léonard Limosin : l'apogée de l'émail peint (1) », Apprendre à voir, (https://deprouw.fr/blog/), 6 novembre 2013.

Pour citer ce billet Stéphanie Deprouw-Augustin, « Léonard Limosin : l'apogée de l'émail peint (1) », Blog Apprendre à voir, 6 novembre 2013, https://deprouw.fr/blog/leonard-limosin-et-le-bref-apogee-de-lemail-peint/.

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