Apprendre à voir

Un cycle peint de Saint Mammès d'après les tapisseries de la cathédrale de Langres ?

Publié le 5 janvier 2019

En guise de post-scriptum au monumental catalogue de l'exposition Langres Renaissance, j'aimerais proposer un rapprochement inédit entre deux peintures bourguignonnes de la fin du XVIe ou du début du XVIIe siècle 1.

Deux toiles de même dimensions

C'est en formulant un avis technique sur un projet de restauration du musée Bonaparte d'Auxonne (Côte d'Or), dont les collections sont malheureusement en caisse pour une durée indéterminée, que j'ai découvert la toile figurée ci-dessous.

Auxonne Mammes

Anonyme, Saint Mammès condamné au supplice des torches, huile sur toile, début XVIIe siècle, Auxonne, musée Bonaparte.

Pour l'exposition de Langres, j'étais allé voir quelques mois plus tôt à l'église de Nolay (Côte d'or), le Saint Mammès dans la fournaise publié par Marguerite Guillaume dans la Peinture en Bourgogne au XVIe siècle 2. Faute de preuve d'une origine langroise, nous avions renoncé à exposer la toile de Nolay.

La parenté de style entre les deux tableaux m'a frappée : les figures au canon démesurément allongé, et cette manière de traiter l'ombre dans l'orbite oculaire de certains visages comme un simple triangle, en particulier. Le jeune martyr a le même air androgyne dans les deux toiles.

Nolay

Anonyme, Saint Mammès dans la fournaise, début du XVIIe siècle, huile sur toile, Nolay, église Saint Pierre.

Le tableau d'Auxonne a été donné à la ville par M. Jean-Baptiste Paget-Pontus en 18673. Lyonnais d’origine, Paget-Pontus avait été conservateur du musée d’Auxonne. La peinture proviendrait de la fabrique de l'église Notre-Dame d'Auxonne.

La similarité des dimensions confirme l'intuition stylistique : 1,30 x 1,79 m pour Auxonne, 1,35 x 1, 80 m à Nolay. Les deux toiles faisaient partie d'un même cycle de l'Histoire de Saint Mammès.

L'iconographie du tableau d'Auxonne

En effet, le rapprochement entre les deux peintures permet de corriger le titre de la toile d'Auxonne : la Jeune vierge conduite au martyre doit en fait être vue comme Saint Mammès condamné au supplice des torches. Il s'agit là du deuxième épisode de la légende, lorsque Démocrite, gouverneur de Césarée de Cappadoce, condamne Mammès à avoir le torse brûlé à l’aide de torches, après qu'il a refusé de sacrifier aux dieux. Le supplice lui-même a lieu à l'arrière-plan si bien que le saint est représenté deux fois, comme souvent dans la tapisserie.

Le tableau de Nolay représente quant à lui le sixième épisode de la même histoire.
La composition dérive donc de la Tenture de la Vie de Saint Mammès dessinée par Jean Cousin et réalisée par les liciers parisiens Jacques Langlois et Pierre Blassé entre 1543 et 1545 pour le compte du cardinal de Givry, évêque de Langres. Grâce à la découverte du tableau d'Auxonne, peut-être pourra-t-on un jour identifier, sinon la tapisserie correspondante, du moins le patron de Jean Cousin pour ce deuxième épisode ? Seules les compositions des septième et huitième tapisseries nous font défaut. Cette dernière comportait le portrait du cardinal de Givry.

Destination première et identité du peintre : un état de la question

Les toiles de Nolay et d'Auxonne ne sont pas faciles à dater avec précision. Elles interprètent largement une composition du milieu du XVIe siècle. N'ayant pas pu voir décrocher les peintures, je me fie au devis de la restauratrice Anne Maincent qui évoque une préparation rouge, ce qui plaide pour le premier quart du XVIIe siècle.

Si le canon extrêmement allongé des figures évoque la Seconde Ecole de Fontainebleau, il est peut-être aussi dû à la destination élevée des tentures de choeur ou des copies peintes. Le style du peintre n'a en tout cas rien à voir avec celui de Jacques Prévost, mandaté par la confrérie des Trois Rois d'Auxonne en 1553 pour polychromer le retable en pierre de Tonnerre réalisé en 1526 par Quentin Bouchier, et actif à Langres peu auparavant.

Pour quel édifice, pour quel commanditaire le cycle peint d'après les tapisseries a-t-il été réalisé ? Il est encore impossible de le dire, mais peu d'églises en France sont dédiées à Saint Mammès, de sorte que l'origine langroise redevient une possibilité non négligeable. Où sont les six autres peintures ?

Comme nous l'avons vu dans l'exposition Langres Renaissance, le style de Pierre Tassel (1521-1592) nous est inconnu, alors qu'il aurait pu faire un bon candidat pour l'exécution d'un tel cycle.

En conclusion, si nous ignorons encore beaucoup de choses sur les peintures de Nolay et d'Auxonne, qui sont, il faut bien l'avouer, de qualité moyenne, il faut encore se réjouir d'avoir découvert un indice nouveau sur une pièce perdue de la Tenture de Saint Mammès et sa composition par Jean Cousin.

NB : Depuis la rédaction de ce billet, M. Caumont a négocié le dépôt du tableau d'Auxonne : il est donc visible au musée d'Art et d'histoire de Langres.


  1. Catalogue d'exposition Langres Renaissance, sous la direction d'Olivier Caumont, Langres, 2018, et en particulier ici l'essai d'Audrey Nassieu-Maupas, « La Tenture de la vie de Saint-Mammès de la cathédrale de Langres », ibid., p. 319-327. Je remercie vivement Olivier Caumont et Arnaud Vaillant pour leur confiance. 

  2. Catalogue d'exposition La Peinture en Bourgogne au XVIe siècle, Dijon, 1990, p. 169-170, n° 16 du recensement d'œuvres non exposées. 

  3. Voir la notice sur la base Joconde

Pour citer ce billet Stéphanie Deprouw-Augustin, « Un cycle peint de Saint Mammès d'après les tapisseries de la cathédrale de Langres ? », Blog Apprendre à voir, 5 janvier 2019, https://deprouw.fr/blog/un-cycle-peint-de-saint-mammes-dapres-les-tentures-de-la-cathedrale-de-langres/.

ArtistesJean Cousin

LibellésRenaissanceiconographie chrétienneFrancepeinture